C’était le symbole de la politique économique de Nicolas Sarkozy : c’est devenu un boulet. La loi Tepa (bouclier fiscal, baisse des droits de succession, possibilité pour chaque parent de donner franco d’impôt 150 000 euros à chacun de ses enfants, exonération des heures supplémentaires) est critiquée depuis longtemps par la gauche qui la juge favorable aux plus riches.
La semaine dernière c’est François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, qui est monté au créneau pour demander la suppression de plusieurs dispositifs de cette loi, et notamment le volet consacré aux heures sup’, afin de financer la création d’un "fonds d’investissement social" de 5 à 10 milliards d’euros. De fait, le contexte de dépression économique a remis la loi Tepa en position d’accusée : son coût (9,5 milliards d’euros en 2009) a réduit les marges de manœuvre du gouvernement pour la relance. En outre les cadeaux fiscaux faits aux ménages aisés apparaissent de plus en plus inopportuns alors que la crise va laminer les couches les plus défavorisées.
Pour tenter de corriger les effets politiques dévastateurs de la loi Tepa, les membres du gouvernement communiquent à outrance sur la "réussite" du dispositif de défiscalisation des heures supplémentaires. Avec un objectif : montrer que loi Tepa profite à tout le monde, notamment à ces salariés modestes qui "travaillent plus pour gagner plus".
Lors d’un débat télévisé avec Martine Aubry sur France 2, fin janvier, Nadine Morano, secrétaire d’Etat à la Famille, a ainsi dressé un bilan élogieux du dispositif des heures supplémentaires. S’appuyant sur une étude des services de Bercy, elle a affirmé : "Quand on regarde la loi Tepa, le nombre d’heures supplémentaires faites [en 2008] par 5,5 millions de Français, c’est 750 millions d’heures." Après avoir lancé ces chiffres, elle a glissé sur la question du pouvoir d’achat. Ces heures supplémentaires "rapportent à nos concitoyens 150 euros en moyenne de plus par mois ce qui fait 1800 euros" par an. Soit "un mois supplémentaire [de salaire]. Ça, c’est concret, c’est le premier effet de la loi", a ajouté la secrétaire d’Etat. Mieux : il y a "un deuxième effet […]. L’année d’après" les salariés concernés "ne payent pas d’impôt" sur ces revenus supplémentaires.
LES FAITS
Il y a plusieurs hic dans la présentation de Nadine Morano. Primo, le chiffre de 750 millions d’heures supplémentaires - comme d’ailleurs le nombre de salariés concernés, évalués à 5,5 millions - correspondait à une estimation, les résultats du quatrième trimestre 2008 n’étant pas encore connus à l’époque. Une étude publiée hier par l’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale) indique que "725 millions d’heures supplémentaires" ont été déclarées sur 2008. Donc moins que le chiffre énoncé comme une vérité lors du débat télévisé.
Secundo, la secrétaire d’Etat a fait comme si, avant le vote de la loi, il n’existait pas d’heures supplémentaires. Comme si les salariés français étaient passés, par la grâce de la seule loi Tepa de zéro à 750 millions d’heures supplémentaires par an, avec à la clé donc 1 800 euros de bonus salarial pour les personnes concernées !
Ceci est évidemment faux. En 2006, les salariés français faisaient déjà 630 millions d’heures supplémentaires selon une étude de la Dares (Direction de l’animation et de la recherche des études et des statistiques), publiée en octobre. Quant au nombre de salariés concernés il était déjà estimé à 5,5 millions. Petite cerise sur le gâteau : la modification du cadre réglementaire concernant les hôtels, cafés et restaurants, conduit à réintégrer "99 millions d’heures" dans le comptage, selon la Dares. Autrement dit, en 2007, les salariés français auraient effectué 730 millions d’heures supplémentaires donc plus que les 725 millions de 2008 !
Même si le chiffre de 2007 est également estimatif, et même s'il est impossible de savoir combien d'heures sup' auraient été réalisées en 2008 sans la loi, on voit bien qu'elle n’a pas provoqué de "grand soir" des heures supplémentaires avec à la clé un bond de pouvoir d’achat pour les salariés.
Pour Didier Migaud, président (PS) de la commission des finances à l’Assemblée nationale, "le chiffre de 150 euros mensuels de gain moyen […] mis en avant par le gouvernement […] est particulièrement trompeur". Les seuls gains pouvant être attribués à la loi Tepa, concernent les exonérations sociales dont bénéficient les entreprises, et les ristournes fiscales dont bénéficieront les salariés (mais qui ne pèsent pas bien lourds, les Français concernés étant souvent modestes et faiblement imposés).
Au final, le bilan de la loi est très éloigné des 1 800 euros par an claironnés par Morano. Et repose la pertinence d'un dispositif très coûteux pour les finances publiques : 3 milliards d’euros en 2008.