Le mouvement social à un "tournant", vraiment ?
Source : LIBERATION.FR - le 26 octobre 2010
Le gouvernement s'est empressé de diagnostiquer une amorce de sortie de crise. Mais la gauche, avec notamment la saisine du Conseil constitutionnel, et les syndicats, qui appellent à une journée d'action jeudi, ne s'avouent pas vaincus.
Trop tôt pour parler d’un retour à la normale mais, selon toute vraisemblance, une mobilisation en reflux. Un «tournant», comme s'est empressée de le claironner Christine Lagarde ?
Après deux semaines de grève, les éboueurs ont repris le travail à Marseille, mais aussi à Agen, Pau et Nantes — le mouvement se poursuit, notamment, à Toulouse, Brest, Saint-Etienne, Toulon. Reprise aussi dans les raffineries — cinq sur douze, selon Brice Hortefeux, seulement trois d’après les syndicats. Approvisionnement «progressif mais régulier», côté stations-service et taux de grévistes décroissant, par exemple à la SNCF (5,4% chez les cheminots, pour la direction, et 12,3% selon la CGT).
A la veille du vote définitif de la réforme des retraites, le climat social se décrispe doucement. Mais à deux jours d’une nouvelle journée d’action, la page de la contestation n’est pas encore tournée.
Les membres du gouvernement et responsables de la majorité se sont empressés de diagnostiquer le début d’une sortie de crise. Comme le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, sur RMC: «On peut considérer comme une très bonne nouvelle que les derniers mouvements de blocage soient aujourd’hui derrière nous.» «Nous sommes dans une amorce de sortie de la crise sociale mais la situation reste difficile», avance prudemment François Fillon, à la réunion des députés UMP.
"Retour de la raison et du dialogue"
Le chef du gouvernement, comme sa ministre de l’Economie, ont surtout saisi la perche tendue, la veille, par François Chérèque. Le leader de la CFDT a suggéré, sur France 2, l’ouverture d’une «négociation sur l’emploi des jeunes et des seniors» sur la lancée de la réforme des retraites. Aussi sur le plateau de Mots croisées, la patronne du Medef, Laurence Parisot, a topé là, y voyant «une bonne façon de passer à autre chose».
Porte de sortie ? «On sort de cette crise en promulguant la loi et ensuite, on propose aux partenaires sociaux d’engager un dialogue sur l’emploi des jeunes et l’emploi des seniors», embraye Fillon ce matin, tandis que Lagarde, sur Radio classique, salue le «retour de la raison et du dialogue» pour «parler de l’emploi des jeunes, de l’emploi des seniors».
Le pouvoir mise aussi sur la fin de la séquence parlementaire avec le vote solennel sur le projet de loi, ce mardi par les sénateurs et mercredi après-midi à l’Assemblée nationale, pour décourager les opposants à la réforme. Le ministre du Travail, Eric Woerth, avant la journée d’actions jeudi, l’admet sans détours: «Ça ne sert à rien aujourd’hui de faire grève contre les retraites.»
"Victoire à la Pyrrhus"
Les leaders syndicaux, s’ils observent eux aussi une évolution du mouvement de protestation, n’y voient pas forcément un fléchissement. «Une nouvelle étape ne veut pas dire la fin des choses», nuance Chérèque. Pour Bernard Thibault (CGT), «le mouvement n’est pas fini» mais «prendra d’autres formes». «La détermination est toujours là», promet le secrétaire général de FO Jean-Claude Mailly, qui juge «très difficile pour qui que ce soit de dire "voilà ce qui va se passer demain ou après-demain"». Même conviction du côté des lycéens et étudiants qui manifestaient cet après-midi, devant le Sénat: «non, le mouvement ne s’essouffle pas, contrairement à ce que dit le gouvernement.»
La gauche non plus ne s’avoue pas vaincue et entend prolonger le bras-de-fer, devant le conseil constitutionnel, comme l’a annoncé le groupe PS à l’Assemblée. Et plusieurs élus de gauche, dont Cécile Duflot (Verts) et Pierre Laurent (PCF), se sont rendus devant l’Elysée pour demander à Nicolas Sarkozy de ne pas promulguer la loi après son adoption par le Parlement.
«Aucun des problèmes n’est réglé, la réforme est rejetée par une majorité de Français» et «le problème, quoi qu’en dise le gouvernement, est devant nous», avait averti, plus tôt dans la matinée, le numéro un communiste, sur RFI. Alors que la députée PS, Elisabeth Guigou parle d’une «victoire à la Pyrrhus» pour le gouvernement qui a «perdu la bataille de la conviction», l’ex-premier secrétaire, François Hollande, sur RTL, prévient, à son tour, l’exécutif contre un effet boomerang:
«Je sens une rancune très forte dans le pays, violente dans l’expression verbale, je sens une colère et celle-là elle demeurera, je sens une frustration de n’avoir rien obtenu.»